Les entreprises et les institutions françaises accusent un retard dans le développement des applications et sites dédiés à la santé, selon Fabrice Vezin, consultant e-santé et ancien responsable de la stratégie Internet de la filiale France GSK.
La Tribune. Google et Apple, entre autres, investissent à l'envi dans la e-santé... Les entreprises françaises semblent accuser un certain retard...
Fabrice Vezin. Ces entreprises mondiales investissent massivement autour de la donnée médicale personnelle. Elles se positionnent comme les futurs propriétaires de l'hébergement des données et le recueil d'informations, d'importants maillons de la chaine élémentaires de la e-santé. Aucun acteur français n'est capable de rivaliser dans ce domaine actuellement.
Toutefois, les sociétés françaises sont très présentes dans la gestion du bien-être, appelé également quantified self, s'adressant au grand public, encore peu réglementé. Withings proposant des objets connectés en santé (montre, pèse-personne, tensiomètre...) connaît une forte croissance, par exemple. Orange Healthcare est très présente dans la télémédecine et les dispositifs destinés aux professionnels de santé.
Le gouvernement français s'implique-t-il suffisamment dans le développement du numérique dans le domaine de la santé ?
Il n'est pas suffisamment présent aujourd'hui dans l'e-santé. Le cas du Dossier médical personnel ou DMP [un dossier médical informatisé] est symptomatique. Quelque 500.866 dossiers ont été ouverts entre 2004 et début novembre 2014. C'est bien peu en dix ans. D'autant plus que le dispositif est entré en vigueur plus tard que prévu, en 2011.
Or, si une grande majorité de patients bénéficiait du dispositif aujourd'hui, on n'aurait pas cette offre pléthorique de dossier médicaux ou de rappels de médicaments gérés via des applications proposés par différentes startups. Ces offres auraient été incluses dans un système de DMP, s'il avait été suffisamment développé.
S'il est un jour généralisé et complètement abouti, on pourra suivre le dossier d'un patient toute sa vie. Ainsi, des chaines de services pourront s'y raccrocher et un écosystème se développera: des applications en ligne existeront pour interagir avec ce dossier, des transferts de scans et de radios seront facilités et des utilisations d'ordonnances transmises à des pharmacies en ligne possibles pourront voir le jour notamment.
En attendant, une nouvelle tentative de relance du DMP est programmée avec un pilotage confié à la Cnamts à la place de l'Asip Santé (Agence nationale des systèmes d'information partagés de santé qui en avait jusqu'ici la charge.)
Y a-t-il des signes encourageants pour l'avenir malgré tout ?
Oui. Il faut signaler le beau succès du Dossier Pharmaceutique (DP), un dossier informatique, créé et consulté par les pharmaciens, et recensant les médicaments délivrés au cours des 4 derniers mois et les traitements en cours. À ce jour, on recense plus de 34 millions de DP créés en France.
En matière de télémédecine, les choses avancent aussi: de nombreuses expérimentations ont lieu dans les établissements de santé. Lancé dans le cadre des Investissements d'avenir, le programme "Territoire de soins numérique" vise à moderniser le système de soins en expérimentant, dans certaines zones pilotes, les services et les technologies les plus innovants en matière de e-santé... À ce jour, 5 régions vont bénéficier de ce projet (Aquitaine, Bourgogne, Ile-de-France, Rhône-Alpes, Océan indien). De même, la mise en place d'une filière en France autour de la "silver" économie, concernant les seniors, avec les aspects liées à la télésurveillance, l'observance, l'autonomie, le maintien à domicile est un point positif dans l'utilisation des nouvelles technologies au sein de la santé. Reste à généraliser ce genre de pratique au niveau national.
Les applications dédiées à la e-santé se multiplient en France depuis quelques temps. Y a-t-il un bon grain à trier de l ivraie ?
Il y a à boire et à manger en effet. Beaucoup d'applications sont téléchargées et abandonnées après une ou deux utilisations. Une majorité d'entre elles s'avère inefficace, tant pour les professionnels que pour le grand public. Encore une fois, l'institutionnel n'est pas très présent pour surveiller cela. Un site du gouvernement, Proxima mobile, propose quelques applications, dont certaines santé. Mais on peut regretter que ne soient pas mis en place des certifications pour les applications mobiles. C'est un débat qui avait déjà eu lieu concernant les sites web dédiés à la santé, qui, finalement, ont été soumis à des certifications.
Ainsi, des acteurs privés se sont vraiment emparés de la question de l'utilité des applications. Créée par des médecins et professionnels de santé, DMD santé sélectionns les applications mobile santé les plus sérieuses. Les applis sont notées et évaluées par un panel composé de professionnels de santé ou issu du grand public. Si l'application récolte une note supérieure à 16, elle est recommandée par la plateforme.
En janvier 2013, a été organisée la première session des trophées de la santé mobile récompensant 19 applications professionnels et grand public. D'autres acteurs existent dans ce domaine: Medappcare, en cours de développement, a intégré l'incubateur santé Boucicaut à Paris.
Ce développement de la numérisation de la santé va-t-il dans le bon sens ? Vous évoquiez dans une précédente interview qu'avec la e-santé, on se dirigeait vers plus d'automédication...
L'automédication se développe principalement pour des raisons financières. La crise économique et les diverses mesures pour diminuer le déficit de la Sécurité Sociale, mises en place au fil des dernières années ont poussé les patients à diminuer leur budget santé et par conséquent à espacer voire cesser les visites chez le médecin traitant. Le recours au digital permet alors d'accéder à des solutions d'auto-diagnostic (sites d'informations santé, applis mobiles dédiées) et de recourir à l'automédication ensuite en pouvant acheter en ligne les médicaments sans prescription.
Ce n'est pas forcément un mal en soi car la e-santé peut également fournir des indicateurs avec des capteurs et des courbes de suivi qui peuvent aider à mieux suivre les patients Selon le cabinet d'étude Gartner, l'utilisation d'objets connectés dédiés à la santé pourrait nous faire gagner 6 mois d'espérance de vie dans les prochaines années.
Jean-Yves Paillé
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