Entre particuliers émerge une économie du partage qui s'appelle BlaBlaCar (covoiturage), Airbnb (locations temporaires) ou KissKissBankBank (financement participatif). Si ce phénomène gagne surtout le grand public, la plupart des entreprises s'en tiennent encore à une approche « propriétaire ». La possession prime sur l'usage, la claustration sur l'ouverture. Sous l'influence des technologies, la démarche de mutualisation ouvre pourtant des perspectives en termes d'efficacité économique, d'emploi et de management. Quatre pratiques pour l'illustrer.
Le nuage. Question : une entreprise est-elle obligée de payer des informaticiens pour acheter des disques durs, des serveurs et pour mettre à jour des logiciels ? Réponse : le cloud s'est révélé un modèle bien plus porteur. Le partage des applications et des capacités de stockage a favorisé une manière de travailler plus collaborative, plus mobile et plus économique. Au passage, certaines entreprises ont diminué de plus de 20 % leurs émissions de carbone. Partager les ressources pour mieux les économiser.
Les API. Facebook qui impose au monde son bouton « Like » ou le géant du tourisme Expedia qui trouve plus de 10.000 partenaires : ce type de succès, on le doit aux API (« application programming interfaces »), qui permettent à la « foule » des développeurs d'exploiter données et fonctionnalités des autres (*). Autour de Twitter, des milliers d'entreprises se sont créées, dont le seul job est d'inventer des applications utiles pour les 220 millions d'utilisateurs ou les agences d'e-réputation. Si les API sont nées avec les « pure players » du digital, elles percent dans la finance, le commerce, les médias et même l'automobile. Donner pour mieux recevoir, s'ouvrir pour faire grandir son business.
L'« open data ». Pour une collectivité locale, un Etat, une institution internationale et, bien sûr, une entreprise, mettre ses données à disposition du public n'est pas seulement un enjeu d'image, c'est aussi un moyen de se soumettre à la pression salutaire des usagers et des clients. La SNCF commence à rendre publiques, mensuellement, des informations qui peuvent lui faire mal sur les retards des TGV. Quand les données seront transmises en temps réel, ceux qui sauront les exploiter fourniront des services utiles aux voyageurs… et à la SNCF elle-même. Accepter la transparence pour améliorer son service.
La co-innovation. « Concevoir le véhicule du futur… Un challenge que le groupe ne peut relever qu'à condition d'ouvrir sa politique d'innovation vers l'extérieur pour y puiser idées, savoir-faire, tendances » : ainsi s'exprimait Guillaume Faury quand il était patron recherche et développement de PSA. Renault, Orange, Toshiba, Danone et d'autres se frottent aux start-up pour co-innover : une source d'agilité, d'inspiration, d'accélération. Ils expérimentent le financement de labos mutualisés et d'incubateurs, investissent dans les jeunes pousses, ou se rapprochent des « fab labs », espaces libertaires où innovation se conjugue avec réseau et collaboration. Développer en commun ce que l'on ferait moins bien tout seul.
Pour franchir ce cap de l'économie collaborative, les entreprises devront dépasser le culte du secret et une vision égocentrée du territoire. Comment y parvenir ? En développant la culture du projet et en privilégiant à l'embauche des qualités comme l'ouverture d'esprit et la curiosité, plutôt que la docilité ou l'autorité. On se doute que les règles de comptabilité, de droit et fiscales évolueront. On sait aussi que les modes traditionnels de travail et de management seront déstabilisés. Qu'importe : c'est excellent pour le business et c'est utile pour la société !
Nathalie Dupuis-Hepner et Eric Villemin
Nathalie Dupuis-Hepner et Eric Villemin sont membres des Company Doctors, réseau de consultants en entreprise.(*) Lire à ce sujet l'excellente étude de l'agence faberNovel : « Six reasons why APIs are reshaping your business ».