Que peut apporter le numérique en matière de santé en France? Comment accompagner et rémunérer les différents acteurs? Tels étaient les thèmes abordés par Yannick Le Guen (ministère de la Santé), Luc Broussy (CNR Santé) et Guy Manou-Mani (Syntec numérique), lors d'une conférence-débat organisée par le Catel durant le Carrefour de la Télésanté 2014.
"La e-santé et la télémédecine connaissent une augmentation exponentielle dans le monde et en France. Notre pays est particulièrement bien positionné au niveau industriel", a rapporté Yannick Le Guen, sous-directeur du pilotage de la performance des acteurs de l'offre de soins au ministère de la Santé, lors d'une conférence organisée par le Catel, réseau de compétences en télésanté, dans le cadre du 5e Carrefour de la Télésanté des 16 et 17 octobre à Paris. "En France, l'industrie numérique est épanouie et se développe", représentant aujourd'hui "400.000 salariés et 40 milliards d'€ de chiffre d'affaires", a ajouté Guy Manou-Mani, président du Syntec numérique.
Amélioration de la qualité et de l'accès aux soins
"La population comme les professionnels de santé adhèrent massivement aux objets connectés", poursuit Yannick Le Guen. Cependant, des résistances existent, relève Guy Manou-Mani. Le numérique est parfois taxé de "déshumanisation"; or "il permet de lutter contre la désertification médicale, de réaliser des consultations dans des lieux inaccessibles", note-t-il. "Il supprime des emplois, mais en recrée d'autres et peut permettre un redéploiement des médecins et infirmières", poursuit le patron du Syntec numérique. Celui-ci prône un "travail en mode agile", avec le "développement de petits projets qui ne coûtent pas des dizaines de millions d'euros et qui s'imbriquent comme des poupées russes pour obtenir à la fin le projet souhaité". Il invite à "s'inspirer de la transformation numérique connue dans d'autres secteurs".
Le numérique constitue un "tournant majeur sur trois déterminants du système de soins: la qualité, l'accessibilité et le coût", analyse Yannick Le Guen. Sur le premier point, il souligne "tout le potentiel lié au data mining, aux données recueillies lors du suivi du patient, à l'analyse en vie réelle. [Cela] permettra de mettre en place la médecine personnalisée, la médecine prédictive que nous appelons tous de nos vœux". Le numérique constitue par ailleurs "la meilleure réponse à l'accessibilité des soins dans les zones sous-denses", estime Yannick Le Guen. En outre, il réduit le temps d'accès aux soins et permet une standardisation.
Expérimentation de modes de financement
Se pose enfin la question du modèle économique. "Le financement orienté sur le remboursement de l'acte ou du produit doit être repensé. Il faut réfléchir au financement global d'une organisation. [Auparavant], il faut asseoir les usages", indique Yannick Le Guen. Une tâche d'autant plus ardue que "les évaluations médico-économiques ne sont pas sans équivoque".
Dans ce cadre, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2015 ouvre l'expérimentation de nouveaux modes de financement dans neuf régions pilotes et dans plusieurs domaines prioritaires: prise en charge des plaies à distance, gériatrie, psychiatrie, insuffisance cardiaque, diabète, insuffisance rénale. L'objectif est double: démontrer les bénéfices pour le système de santé et établir des tarifs préfigurateurs pour certaines prises en charge (paiement par capitalisation, rente...). "Osons le financement au parcours", prône Yannick Le Guen.
Pour Luc Broussy, récemment élu à la tête du CNR Santé (Centre national de référence Santé à domicile et Autonomie), "c'est par le secteur médico-social et par la question des personnes âgées et des malades chroniques que l'on arrivera à débloquer les rigidités du secteur de la santé", comme ce fut le cas avec le programme PAERPA (personnes âges en risque de perte d'autonomie). "Le numérique est un outil absolument essentiel dans la problématique de la dépendance: comment rendre la vie à domicile possible et harmonieuse, adapter le logement (domotique), [permettre] la mobilité des personnes...".
Mais malgré "l'augmentation du confort du malade et de la qualité soins et la baisse des coûts", il y a une "absence de volonté politique et citoyenne dans le développement du numérique", a déploré Guy Manou-Mani (Syntec numérique). Dans son plan d'économies de 10 milliards d'€, "Marisol Touraine n'a pas prononcé le mot de e-santé ni de numérique. Or sans ça, elle n'y arrivera pas", a-t-il jugé, appelant à déployer le numérique "le plus vite possible".
Muriel Pulicani
Source